Un «aide-mémoire» pour le Pape Léon

Un «aide-mémoire» pour le Pape Léon

Par Robert Royal

Offrir des conseils à un Pape est quelque chose de présomptueux —pour quiconque—. Cependant, dans l’Église de la synodalité, où l’on suppose que tous doivent avoir voix —et être écoutés—, cela n’est peut-être plus aussi présomptueux qu’autrefois. Néanmoins, ce conseil devrait être offert dans un esprit de loyauté et de préoccupation, comme une sorte d’aide-mémoire, au sens diplomatique classique de fournir à un leader des informations et des analyses. Non pas sur des dogmes, des Credos ou des questions établies de longue date, que tout Pape devrait déjà connaître. Mais comme une aide pour comprendre comment les choses en sont —des choses importantes—, dont un pontife n’est peut-être pas pleinement conscient, conditionné qu’il est par ce que les Français appellent élégamment une déformation professionnelle, et ce que nous, les Américains plus enclins à la technologie, considérons comme un «silo d’information».

Permettez-moi donc d’entreprendre cette tâche diplomatique, uniquement comme exercice personnel (comme si on me l’avait demandé), quelque peu compliquée par le fait que le Pape Léon est américain et a vécu à l’étranger pendant une grande partie de sa vie adulte. Et il perçoit peut-être —ou peut-être pas— ce que je suis sur le point de dire.

Je commence par la récente controverse sur la relation entre l’Europe et les États-Unis, parce que elle porte sur bien plus que la politique —et elle est révélatrice—. Je suis tout à fait d’accord avec les récentes déclarations du Pape sur l’importance primordiale de l’Alliance transatlantique. Et je conviens que certaines des façons dont l’Administration Trump a formulé sa récente Stratégie de Sécurité Nationale (National Security Strategy, NSS) pourraient donner à un lecteur peu compréhensif ou pressé l’impression que les États-Unis sont sur le point d’abandonner l’Europe.

Mais cela reviendrait à ignorer un engagement plus profond envers l’Europe, en fait envers quelque chose de culturel et —osons-nous le dire ?— religieux, bien plus important que les politiques politiques, économiques et militaires, qui vont et viennent. Comme l’affirme la NSS au début d’une section intitulée «What Do We Want» : «Nous voulons soutenir nos alliés dans la préservation de la liberté et de la sécurité de l’Europe, tout en restaurant la confiance civilisationnelle et l’identité occidentale de l’Europe». (Emphasis added). Et, par conséquent, ce que la NSS cherche à promouvoir, ainsi qu’à avertir, est —bien compris— quelque chose dont le Pontife romain lui-même devrait se soucier. Profondément.

Quand la NSS critique «l’Europe», elle se réfère en grande partie à la Commission européenne progressiste et irresponsable, qui est le véritable organe décisionnel de l’Union européenne. L’UE est un organisme développé au fil des décennies après le désastre de la Seconde Guerre mondiale, dans l’espoir d’exclure à jamais une telle destruction intra-européenne. Et en grande partie, pendant longtemps, elle y est parvenue, grâce à l’influence de trois figures catholiques héroïques : Konrad Adenauer en Allemagne, Robert Schuman en France et Alcide de Gasperi en Italie (ces deux derniers actuellement en processus de canonisation formelle, non seulement pour leurs contributions politiques, mais pour la sainteté de leurs vies).

Et derrière eux tous se trouvait la Démocratie chrétienne élaborée par le grand philosophe catholique Jacques Maritain, qui a démasqué et réfuté les principes antihumains des totalitarismes du XXe siècle —communisme, fascisme et nazisme—. Et qui a également cherché à clarifier quelque chose qui est maintenant devenu douloureusement évident : que même les «démocraties» occidentales échouent si elles ne reconnaissent pas leur dépendance à une vision chrétienne de la personne humaine et de la société.

La Démocratie chrétienne, en tant que mouvement politique organisé, a suivi le chemin de toute chair depuis la disparition de l’Union soviétique. Mais en son temps, elle a été un rempart important pour tenir le communisme à distance de l’Italie, de la France et même de parties de l’Amérique latine. Elle a même contribué en coulisses à la Déclaration universelle des droits de l’homme de l’ONU à travers divers acteurs.

Cependant, le monde a avancé, et aujourd’hui, seul un chrétien très idéaliste considérerait l’ONU ou l’UE comme des incarnations d’une vision chrétienne ou même d’une compréhension séculière classique des affaires humaines. En fait, l’inverse est plus proche de la vérité. Et parmi ses dirigeants actuels, il n’y a pas de futurs saints.

Tout cela est d’une gravité mortelle —et pourtant, il a en grande partie été absent du discours public— jusqu’au discours de JD Vance à Munich et maintenant la NSS. Comme l’a noté un commentateur britannique (il y a de bonnes raisons pour lesquelles le Royaume-Uni a opté pour le Brexit), l’UE actuelle —c’est-à-dire, encore une fois, la bureaucratie globaliste de l’UE, non les nations européennes en elles-mêmes— opère comme si elle était dirigée par la National Public Radio américaine terminalement woke.

Ses piétés ne sont ni chrétiennes ni classiques. Les formes anciennes privilégiaient la famille comme première cellule de la société, la subsidiarité et le localisme, une solidarité robuste qui ne s’exprime pas uniquement à travers l’État (une approche unilatérale qui historiquement comporte le risque d’une «tyrannie douce»). Au lieu de cela, l’UE est devenue un moteur de nouveautés toxiques comme l’agenda LGBT, tentant même de l’imposer à des pays membres dont la souveraineté est garantie par la subsidiarité dans la charte européenne et où des majorités démocratiques l’ont rejetée à plusieurs reprises.

Et puis il y a la question de l’immigration massive. Une grande partie de l’Europe se réveille maintenant à l’absence de prudence d’admettre des millions de musulmans dont la culture ne peut être réconciliée avec les coutumes occidentales. En fait, aussi inconfortable que cela soit à dire dans des nations où l’on espérait que le pluralisme religieux pourrait fleurir pour tous, l’islam lui-même est, dans une perspective historique large et avec toutes les réserves nécessaires, une menace pour les modes de vie occidentaux. La question des relations avec l’islam ne peut être résolue en répétant simplement le faux mantra selon lequel c’est une «religion de paix». Cela l’est, mais seulement après la conversion, la conquête ou la soumission.

Le Pape, comme son prédécesseur, a une sensibilité particulière envers les migrants. Tous deux ont même promu un nouveau titre pour la Vierge Marie : Consolation des Migrants. Mais la compassion ne doit pas dégénérer en sentimentalisme. Et particulièrement en Europe, qui a été envahie et menacée par l’islam pendant plus de mille ans, l’histoire compte.

Et pourtant, la Commission européenne, qui n’est ni transparente ni soumise aux pressions démocratiques, tente de présenter comme des menaces à la démocratie et des rejets des valeurs européennes communes l’opposition aux piétés woke ou la défense des cultures nationales —des réactions populistes qui ont des parallèles aux États-Unis—. La NSS soutient, de manière convaincante, que l’inverse est plus proche de la vérité.

Le Pape Léon a également suggéré que le «populisme» en hausse aujourd’hui à travers l’Europe, de l’Irlande à la Pologne, de la Suède à la Sicile, utilise la peur de l’islam pour s’opposer à l’immigration. On peut apprécier son désir de protéger des personnes vulnérables qui fuient des régimes maléfiques. Mais c’est précisément l’inverse. Les gens craignent l’immigration islamique pour de bonnes raisons. Peu craignent les immigrants de Corée, du Vietnam ou d’Inde.

C’est la présence de millions —souvent des islamistes militants— ainsi que les massacres du Bataclan à Paris et de Charlie Hebdo, les martyres de chrétiens dans des églises européennes, ces mêmes églises incendiées (deux par mois en France), les attaques sur les marchés de Noël, les attaques à la grenade à Stockholm, les agressions au couteau et les viols en Allemagne et au Royaume-Uni, les 2 000 délits de haine anticatholique documentés rien qu’en Europe en 2024. Et il y a la lâcheté des politiciens européens conventionnels —Paris vient d’annuler ses célébrations de Nouvel An pour des «raisons de sécurité»— qui a transformé des personnes ordinaires, prêtes à vivre et laisser vivre, en opposants fermes à de nouvelles attaques contre leurs cultures et leurs propres vies.

Les États-Unis ont raison de se demander dans la NSS si la bureaucratie de l’UE, telle qu’elle est constituée actuellement, ou certains pays européens, s’ils continuent à céder aux pressions musulmanes internes, resteront des alliés fiables. Ce n’est un secret pour personne qui voyage fréquemment aujourd’hui en Europe que, en privé, on entend de tout, même de la part de personnes libérales conventionnelles, mais qui craignent de parler en public. Plusieurs gouvernements européens accusent maintenant des citoyens de «discours de haine» ou de créer des «tensions communautaires» simplement pour avoir dit ce que tout le monde sait.

Le Pape Léon a adopté une position ferme contre ce qu’il a qualifié de «fausse miséricorde» dans l’octroi indiscriminé de nullités matrimoniales. Mais il existe d’autres formes de ce même élan qui se sont emparées de l’Église, surtout la croyance que le «dialogue» et l’ouverture sont des remèdes à tout. Ce n’est pas le cas, même au sein de l’Église, comme quiconque a des yeux peut le voir dans l’autoréférentialité interminable du chemin synodal.

Et à l’extérieur, la réalité nous confronte. Le Venezuela est devenu un carrefour pour la criminalité soutenue par le régime —drogues, traite des personnes, répression, attaques contre l’Église—. Et tout cela en accueillant des agents russes, iraniens et chinois, des terroristes liés à Hamás et au Hezbollah, comme l’a souligné la prix Nobel María Corina Machado, une femme catholique courageuse. Le «dialogue» est-il vraiment une position efficace face à de tels malfaiteurs ? Machado ne le pense pas ; d’où son soutien à la pression américaine.

Tout cela pointe vers la nécessité d’un aggiornamento différent dans l’Église —et d’une catholicité plus robuste—. Il est bon de s’inquiéter des dangers potentiels futurs de l’intelligence artificielle ou de l’environnement. Mais il y a des dangers présents qui ne peuvent être affrontés en s’accrochant à une vision globaliste obsolète d’ouverture et de tolérance envers beaucoup de choses qui semblaient plausibles dans les années quatre-vingt-dix et au début des années deux mille, mais qui ne le sont plus.

Quelque chose comme un grand point d’inflexion se produit dans notre monde, bien que sa forme ne soit pas encore claire. Mais c’est un tournant spirituel en plus d’être mondain. Et l’Église —et particulièrement un Pape— devrait en être pleinement consciente. Et dans les rares occasions où un Pape doit parler de questions temporelles, le diriger.

À propos de l’auteur

Robert Royal est directeur éditorial de The Catholic Thing et président du Faith & Reason Institute à Washington, D. C. Ses livres les plus récents sont The Martyrs of the New Millennium: The Global Persecution of Christians in the Twenty-First Century, Columbus and the Crisis of the West  y A Deeper Vision: The Catholic Intellectual Tradition in the Twentieth Century.

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