L'hommage à Atatürk et la mémoire blessée des chrétiens d'Orient

L'hommage à Atatürk et la mémoire blessée des chrétiens d'Orient
Le voyage du pape Léon XIV en Turquie a commencé par une image qui a suscité l'inquiétude dans une partie du monde chrétien : l'offrande florale du Pontife devant la tombe de Mustafa Kemal Atatürk, fondateur de la Turquie moderne. Il est vrai que, sur le plan diplomatique, la Turquie exige de toute autorité visiteuse un geste d'hommage envers Atatürk. Et il est également vrai que ce n'est pas un acte absolument inédit : en 2006, lors de sa visite apostolique dans le pays, Benoît XVI s'est également rendu au Mausolée d'Atatürk et a déposé une couronne de fleurs dans le cadre du protocole officiel. Ce précédent aide à situer le geste actuel dans un contexte plus large et à éviter des lectures précipitées.

Malgré tout, le pape n'est pas un chef d'État comme les autres. Il est le Successeur de Pierre, père spirituel de millions de fidèles, et tout geste public acquiert pour les chrétiens une signification plus profonde que la simple diplomatie.

Le génocide arménien et la responsabilité historique

Il convient d'être précis : le génocide arménien au sens strict a eu lieu entre 1915 et 1916, sous le gouvernement des Jeunes-Turcs et le triumvirat des soi-disant Trois Pachas. C'est ce régime qui a organisé des déportations massives et des massacres systématiques d'Arméniens chrétiens.

Cependant, après la Première Guerre mondiale, la violence contre les minorités chrétiennes — en particulier les Grecs et les Arméniens — a continué. Pendant la Guerre d'indépendance turque (1919-1923) et les années qui ont conduit à la République, le mouvement nationaliste dirigé par Mustafa Kemal a assumé la continuité d'une politique d'expulsion ou d'élimination des populations chrétiennes d'Anatolie, ce que de nombreux historiens considèrent comme la phase finale de la destruction des communautés arméniennes et grecques d'Asie Mineure.

Cette étape s'exprime par des faits douloureux : la persécution et l'expulsion de communautés chrétiennes, l'incendie de Smyrne en 1922 — qui a ravagé principalement les quartiers grec et arménien — et l'expulsion forcée subséquente de la population grecque orthodoxe après la Convention de Lausanne de 1923.

Pour de nombreux Arméniens et Grecs d'Asie Mineure, Atatürk reste la figure qui symbolise la fin tragique de leur présence historique millénaire en Anatolie. Cette mémoire mérite de la sensibilité.

Une blessure qui exige de la délicatesse

L'Arménie, première nation chrétienne de l'histoire, et les communautés grecques d'Asie Mineure ont subi des persécutions, des déportations et des exils forcés pendant des générations. Pour eux, voir le pape — même par protocole — rendre des honneurs devant cette tombe peut être douloureux.

Le fait que Benoît XVI ait réalisé le même geste en son temps n'élimine pas cette sensibilité, mais il invite à situer la scène d'aujourd'hui dans une continuité diplomatique, plutôt que dans une décision isolée du pape Léon XIV.

Cependant, du point de vue pastoral, cette image continue de poser des questions et génère une confusion légitime chez ceux qui attendent que l'Église accompagne les blessures des peuples chrétiens d'Orient avec une proximité particulière.

L'équilibre entre diplomatie et mission pastorale

L'Église ne vit pas pour le protocole, mais pour le salut des âmes. Cependant, au fil de l'histoire moderne, le Vatican a dû naviguer également dans des scénarios diplomatiques complexes. Le précédent de Benoît XVI démontre que, parfois, les papes acceptent certains gestes protocolaires sans que cela implique une adhésion idéologique ou une approbation historique.

On ne demande pas au pape une confrontation inutile avec les gouvernements. Mais une attention spéciale à la charge symbolique de ses actes, en particulier lorsqu'ils se rapportent à des figures liées à des épisodes douloureux pour des communautés chrétiennes.

Le langage des gestes pontificaux doit toujours aspirer à transmettre du réconfort et de la clarté, en évitant que l'Église semble se plier à des dynamiques mondaines qui ne correspondent pas à sa mission.

Un début qui invite à approfondir

Le voyage de Léon XIV en Turquie inclura des moments de grande importance : des rencontres avec de petites communautés chrétiennes, des gestes œcuméniques et des paroles adressées à ceux qui vivent leur foi en minorité. Ce qui reste du voyage offre une opportunité claire de compenser cette première scène.

La leçon est claire : tous les protocoles ne sont pas inoffensifs, tous les hommages ne sont pas simples et toutes les images ne se lisent pas de la même manière dans des cœurs marqués par l'histoire.

Les enfants de l'Église, en particulier ceux qui portent une mémoire de persécution, attendent que la mère commune soit particulièrement prudente lorsqu'il s'agit de rendre des honneurs, même protocolaires, quand des figures historiques controversées sont en jeu.

Puissent les prochains gestes du pape montrer la profondeur pastorale que ce premier acte n'a pas réussi à transmettre avec toute la clarté. L'Église a la capacité — et le devoir — d'accompagner l'histoire avec délicatesse, d'honorer les martyrs et de prendre soin de son propre langage symbolique sans se laisser absorber par la logique des pouvoirs temporels.