L'angoisse du Pape Prevost

par Giorgio Meletti et Federica Tourn

L'angoisse du Pape Prevost

Nous reproduisons par intérêt informatif sur l’affaire Lute l’analyse des journalistes italiens Giorgio Meletti et Federica Tourn. Devant le silence frappant d’une grande partie des médias sur ce cas qui a trouvé un écho pour diffuser une version pleine de lacunes, s’ouvrent des analyses plus profondes sur la situation :

Dans le livre LEON XIV – Citoyen du monde, missionnaire du XXIe siècle, biographie plus qu’autorisée écrite par Elise Ann Allen, vaticaniste amie de Robert Prevost, publiée pour des motifs mystérieux uniquement en espagnol et apparue en coïncidence avec le soixante-dixième anniversaire du pape le 14 septembre, à un certain moment, il y a une page littéralement incroyable.

Prevost raconte à Allen sa dernière rencontre avec le pape François, et c’est pour se frotter les yeux et relire dix fois pour se convaincre qu’il l’ait vraiment dit.

Une rencontre incroyable

Voyons d’abord le contexte. Le 24 mars, Jorge Mario Bergoglio est rentré à Santa Marta, après la longue hospitalisation au Gemelli, pour mourir dans son lit. Cela fait déjà des mois qu’on parle de conclave et justement le lendemain, le 25 mars, le réseau Snap écrit au Secrétaire d’État Pietro Parolin et au préfet du Dicastère pour la Doctrine de la Foi, Víctor Fernández, pour dénoncer les prétendues méfaits du cardinal Prevost, préfet du Dicastère pour les Évêques, engagé à couvrir des pédérastes.

De ces accusations, on discute dans le monde catholique et dans les médias depuis des mois. Les attaques contre Prevost se connectent directement à la marche d’approche vers le conclave, pour lequel le cardinal américain est considéré en pole position, bien que les candidats italiens et leurs journalistes de référence fassent semblant de ne pas s’en rendre compte.

Immédiatement après l’attaque signée par Snap, le pape François convoque Prevost. Voici le récit livré par le protagoniste à Elise Ann Allen :

« J’ai reçu un appel téléphonique dans lequel on me demandait de me rendre secrètement à Santa Marta, et on m’a dit : “Ne le dites à personne”. Le pape voulait me voir. Et on ne m’a rien dit de plus. Donc je ne l’ai dit à personne au bureau, ni à la secrétaire, à personne. J’ai simplement disparu et je suis allé. J’ai monté l’escalier de service, et personne ne m’a vu.

Ensuite, après qu’il m’ait dit ce qu’il voulait, relatif au travail, aux évêques et à d’autres sujets qu’il avait en tête, je lui ai dit : “Pour votre information, Saint-Père, j’ai pensé que peut-être la raison pour laquelle vous m’aviez appelé de cette manière était que vous vouliez ma démission”. Nous avons ri ensemble.

Quand il s’irritait contre quelqu’un, il le lui disait clairement, et comme on m’avait dit d’y aller et que je savais qu’il ne recevait pas encore beaucoup de personnes, j’ai pensé : “Oh, et maintenant, qu’est-ce qui s’est passé ?”. Mais évidemment, il ne m’a pas demandé de démissionner ».

Avec une apparente négligence, le pape laisse à l’infosphère un témoignage embarrassant pour toute l’Église. Pourquoi devait-il craindre que le pape, sur son lit de mort, l’appelle pour le congédier ? Il y a deux réponses possibles, et elles sont toutes deux embarrassantes.

La première est que le successeur de François accrédite de la manière la plus officielle l’image de Bergoglio qui l’a accompagné ces dernières années au sein de la curie : un homme psychiquement instable, vengeur et capricieux, capable de torpiller des évêques et des cardinaux sans motif clair.

Ce qu’il a fait le 24 septembre 2020 avec le cardinal Angelo Becciu, jusqu’à il y a quelques mois son collaborateur le plus proche en tant que substitut de la Secrétairerie d’État et, de facto, numéro trois de la hiérarchie catholique.

La seconde est que Prevost craignait que François lui présente la facture du cas Quispe, le même qui a soulevé Snap : au Pérou, trois sœurs abusées quand elles étaient enfants par un prêtre, qu’elles accusent d’avoir été couvert par Prevost quand il était évêque de Chiclayo.

Il le craignait vraiment, il nous le fait comprendre dans les lignes immédiatement suivantes du livre, dédiées à ce qui est défini comme une campagne de déligitimation montée précisément sur le cas Quispe. Mais comment le pape a-t-il eu l’idée de faire connaître au monde une pensée si privée et, justement, si embarrassante ?

Quelque chose ne colle pas.

Le septuagénaire Robert Francis Prevost, depuis le jour où il a été élu pape et sibi imposuit le nom de Léon XIV, a voulu se présenter comme un homme tranquille, doux mais ferme, un montaliano “un homme qui va sûr, ami des autres et de lui-même, et qui ne se soucie pas de son ombre”.

Et tandis que toute la presse mondiale, servile comme l’exige l’esprit des temps, avec des tons lyriques assure chaque jour son autoportrait, l’homme de Chicago ne fait que semer des indices de signe opposé : comme s’il voulait désespérément nous informer qu’il vit dans la peur, et que son ombre l’angoisse.

Ce qui le tient éveillé la nuit, apparemment, est précisément cette histoire d’abus sexuels commis par un prêtre péruvien il y a une vingtaine d’années ; une histoire en un sens mineure —dit avec tout le respect pour les victimes— si on la compare aux milliers de véritables horreurs quotidiennes avec lesquelles les prêtres des cinq continents mettent systématiquement en danger l’existence même de l’Église catholique. Mais il n’y a rien à faire.

Cela fait deux ans, c’est-à-dire bien avant de devenir pape, que Prevost est obsédé par le soupçon d’avoir couvert le pédéraste Eleuterio Vásquez González, connu comme père Lute, malgré le chœur (presque) unanime de prêtres, d’évêques, de vaticanistes et de journalistes amis qui considèrent ces accusations fausses et manipulées, ourdies par un ex-augustin en conflit avec Prevost depuis une trentaine d’années.

À peine élu Prevost le 8 mai 2025, le squelette est sorti des armoires des sites catholiques les plus traditionalistes sans qu’on voie un mobile politique, étant donné qu’avec le pape de Chicago, le pendule de l’Église revient vers la tradition ; il suffit de penser à la messe en latin célébrée à Saint-Pierre par le super-traditionaliste cardinal Raymond Burke le samedi 25 octobre.

En effet, ces sites se sont limités à reprendre une nouvelle donnée par les organisations de victimes d’abus, en premier lieu Snap (Survivors Network of those Abused by Priests). En résumé, ce qui ôte le sommeil à Prevost ne sont pas les attaques politiquement orientées mais les faits : un passé qui ne veut pas passer, du moins dans son esprit.

Et ainsi, la biographie autorisée écrite par son amie Elise Ann Allen consacre un espace démesuré à l’histoire dramatique des trois sœurs péruviennes —Ana María, Aura Teresa et Juana Mercedes Quispe Díaz—, toutes trois abusées par le père Lute quand elles étaient enfants (entre 9 et 13 ans) et qui seulement de nombreuses années plus tard ont trouvé la force de dénoncer les faits à leur évêque qui, en 2020 —quand commence le tourment—, était justement l’évêque de Chiclayo, Robert Prevost.

Pendant 25 pages, Allen accompagne une défense passionnée entièrement exculpatoire de Prevost, qui se laisse citer de longs fragments de son propre point de vue. Cependant, elle doit aussi donner la parole à Ana María, la plus déterminée des sœurs Quispe.

Celle-ci confirme les accusations de manière très incisive. Elle affirme, en substance, que quand elle et ses sœurs sont allées parler à Prevost, il a été très aimable et compréhensif, mais il n’a pas dénoncé le père Lute au parquet (comme il aurait dû le faire en obéissance au motu proprio Vos estis lux mundi, promulgué par François le 9 mai 2019), et il a ouvert seulement formellement ce qu’on appelle “l’enquête préliminaire”, sans faire aucune enquête réelle et sans prendre de déclaration écrite du témoignage des victimes.

Allen écrit, en concluant ces 25 pages minutieuses : « Contrairement à ce qu’affirment d’autres témoignages cités dans ce livre, Ana María soutient que, bien que le diocèse [c’est-à-dire Prevost, ndr] ait ouvert le cas, il n’a pas réalisé d’enquête, sous le prétexte que “dans l’Église, il n’existe pas de moyen pour enquêter”.

Cependant, comme l’a confirmé le Vatican, à Rome existe effectivement un dossier, ce qui démontrerait qu’une enquête a été menée.

Quispe insiste sur le fait que dans ledit dossier il n’y a que “une feuille”, ce qui signifierait, selon elle, qu’il n’y a pas eu d’enquête adéquate, et elle accuse le diocèse d’avoir utilisé le dossier de son cas civil pour le clore aussi à Rome ».

En résumé, Allen ne peut pas traiter Quispe de menteuse et laisse le lecteur avec le doute de savoir si Prevost a vraiment des motifs pour ne pas dormir la nuit.

D’autant plus que la confirmation vaticane de l’existence du dossier avec l’enquête préliminaire n’est qu’un off the record anonyme : le Secrétaire d’État, Pietro Parolin, comme nous le verrons, n’a jamais dit ni permis qu’on dise un mot en défense de l’alors préfet Prevost.

De là surgit le verdict d’Allen, qui se maintient entre l’incertain et l’ambigu : « Au final, ce qui reste clair est que ce n’est pas un cas d’abus comme tant d’autres, mais un cas dans lequel un effort sincère pour aider les victimes s’est heurté à de nombreux intérêts particuliers, personnels et institutionnels, avec l’élection du pape Léon XIV et, au milieu de tout cela, trois femmes sont restées désorientées, se sentant utilisées ».

Mais ici, la question n’est pas de déterminer si on a élu pape un protecteur de pédophiles, thème qui, en réalité, personne n’a posé en ces termes, aussi parce que, comme diraient les vaticanistes en toge (pour ne pas prendre parti, au cas où), chaque pontife a ses lumières et ses ombres.

Le thème qui saute aux yeux est l’angoisse de Prevost, que le livre d’Allen reflète avec tant de clarté qu’il nous fait nous demander pourquoi le pontife a décidé de se mettre dans les problèmes de son propre chef.

Le second faux pas

Dans la biographie autorisée écrite par Elise Ann Allen, il y a un second faux pas du pape. L’auteure, qui revendique son amitié avec Robert Prevost, raconte une rencontre avec le cardinal peu avant que meure le pape François : « Quand nous nous sommes réunis dans son bureau, je me souviens lui avoir dit qu’on parlait de lui comme papable si les choses tournaient mal pour François, et je lui ai demandé si cela le dérangeait. Il m’a répondu avec décision que non, qu’il n’était absolument pas nerveux, parce que “ils n’éliraient jamais un Américain” ».

Deux mois après le conclave, interviewé par Allen pour le livre, Prevost laisse échapper, sans raison apparente, un autre élément qui le rendait sceptique sur ses possibilités de devenir pape, en plus du “ils n’éliraient jamais un Américain”. À la question de savoir s’il y avait ne serait-ce qu’une partie de lui qui pensait à l’élection, Léon XIV répond :

« Sincèrement, non. C’est-à-dire, j’essayais de ne pas y penser, parce que sinon, probablement je n’aurais pas pu dormir. Mais la nuit avant d’entrer au conclave, j’ai réussi à dormir parce que je me suis dit : “Ils n’éliraient jamais un Américain comme pape”. C’était comme m’appuyer sur cette pensée, une sorte de “Détends-toi. Ne te laisse pas monter la tête”.

Parce que, évidemment, pendant la congrégation, dans les réunions préalables au conclave, j’avais entendu un couple de choses. Il y avait quelques rumeurs.

Mais j’ai aussi pensé au cas dont tu me parlais avant [celui des dénonciations à Chiclayo, sic], qui inquiétait certains des autres cardinaux, si ce thème des abus sexuels pouvait être un problème, et à d’autres raisons, l’expérience, le peu de temps comme évêque, comme cardinal.

Et c’est alors que j’ai pensé à l’ancien et fameux adage que les gens disaient simplement : “Il n’y aura pas de pape américain”.

Qui sait pourquoi Prevost sent le besoin de communiquer au monde des pensées si intimes et explosives. La même Allen a raconté, quelques pages avant, qu’en 2023 Ana María Quispe a commencé à accuser publiquement Prevost d’avoir couvert le pédéraste Eleuterio Vásquez Gonzáles, connu comme père Lute, et que la nouvelle a été propulsée par une série de sites catholiques hostiles à Prevost, parmi lesquels elle cite l’espagnol infovaticana.com et l’italien Nuova Bussola Quotidiana (lanuovabq.it).

Allen ne laisse pas de place au doute : cela se produit « tandis que la santé de François commençait à décliner et qu’un conclave semblait imminent ».

Presque toute la presse internationale considère les accusations contre Prevost comme fausses et instrumentales, même après qu’elles aient été relancées le lendemain de son élection comme pape. Cependant, Prevost confesse au monde entier que, une fois le conclave commencé, il s’inquiétait que « ce thème des abus sexuels puisse être un problème » pour son élection comme pape.

Ce qui, brutalement, peut signifier deux choses : ou que Prevost lui-même considérait l’affaire du père Lute comme un squelette dans son placard, ou que le futur pape craignait que dans le conclave les accusations (supposément fausses) de couverture d’un pédophile puissent être utilisées de mauvaise foi par les cardinaux hostiles à son élection. À la face du Saint-Esprit…

À la crainte de Prevost —ainsi confessée avec tant de candeur— de perdre l’élection au papauté à cause des abus sexuels du père Lute, on peut probablement attribuer un autre des nombreux épisodes singuliers de cette histoire.

Cela a été raconté par le journal espagnol El País le 1er octobre 2025, dans un long article apparemment destiné à relancer la thèse déjà soutenue par le même journal immédiatement après l’élection de Léon XIV.

L’article soutient qu’Ana María Quispe, dans une interview, admet que elle et ses sœurs ont été manipulées par l’avocat Ricardo Coronado, prêtre augustin en mauvaises relations avec Prevost depuis environ 30 ans, qui les aurait utilisées pour une campagne diffamatoire contre un cardinal papable.

Mais Quispe a réagi à l’article par un dur démenti et une menace d’action en justice, réitérant une évidence : l’utilisation instrumentale que Coronado a faite de ses accusations contre Prevost ne signifie pas que ces accusations sont fausses.

Mais l’article de El País, qui semble orienté à démonter définitivement les accusations contre Prevost, contient aussi une révélation déconcertante : le 23 avril, à seulement 48 heures de la mort du pape Bergoglio, l’évêque de Chiclayo, Edinson Edgardo Farfán, reçoit les sœurs Quispe pour trouver une solution “définitive” à leur triste cas. Voici le récit de El País :

Quispe raconte qu’en janvier de cette année, elle s’est réunie avec le nouvel évêque de Chiclayo, Edinson Edgardo Farfán, nommé en 2024. « Et il m’a dit : “Que voulez-vous que nous fassions ?”. Et je lui ai répondu : “Ils ont là un pédophile ! Comment dois-je vous le dire ? Dites-moi plutôt ce que vous pensez faire avec ce pédophile que vous avez là” ».

Selon Quispe, Farfán l’a invitée à redénoncer le cas à l’Église et lui a assuré que, cette fois, ce serait différent. La réunion a eu lieu le 23 avril, mais quand les victimes sont arrivées, on leur a informé que le père Eleuterio avait demandé à abandonner le sacerdoce.

Par conséquent, on leur a dit qu’il n’y avait plus rien à faire, puisqu’il ne ferait plus partie du clergé. « Nous avons demandé si c’était la fin de tout, et on nous a dit que c’était la peine maximale », se souvient Quispe.

D’un côté, donc, il y a un Prevost inquiet que le cas Quispe puisse être utilisé contre lui pour le freiner dans la course au papauté, mais aussi craintif que le pape François mourant lui demande de démissionner pour cela.

De l’autre côté, il y a Farfán, nommé en 2024 par Prevost dans son nouveau poste de préfet des évêques, mais aussi augustin et disciple et ami sien, qui, dès que Bergoglio décède et que les papables se mettent en marche, comme les chevaux du Palio de Sienne, “aux cordes” pour le début du conclave, convoque les trois Quispe pour leur dire que le cas est clos.

L’abuseur quitte l’Église et donc ne peut plus être poursuivi, aussi parce que, en tout cas, la sanction la plus dure —la réduction à l’état laïc— il se l’est imposée lui-même. Mais la sanction la plus cruelle, l’évêque Farfán, disciple et ami de Prevost, l’impose à la pauvre Ana María Quispe, quand il lui raconte que le père Lute a admis les faits, en soulignant qu’il ne les considère pas comme des délits.

Quispe déclare à El País : « Il a confessé, mais il dit que ce n’est pas un délit. Je ne crois pas qu’abuser d’une enfant soit normal pour eux, mais ce n’est qu’un péché, rien de plus ».

Le boomerang du Sodalicio

Prevost et son amie journaliste doivent avoir été pressés par la hâte de publier la biographie autorisée coïncidant avec le soixante-dixième anniversaire du pape.

L’interview qui constitue sa colonne vertébrale a été enregistrée le 10 juillet 2025, à peine deux mois avant la publication du livre. Et il semble qu’il n’y ait pas eu le temps de vérifier avec la due attention certaines incongruités.

Comme nous l’avons vu, à partir de certaines paroles hésitantes de Prevost publiées dans Citoyen du monde, se dégage une préoccupation inexplicable et incontrôlée pour l’histoire des trois sœurs Quispe qui aujourd’hui accusent justement le pape d’avoir couvert leur agresseur quand il était évêque de Chiclayo.

Le pape veut aborder le thème pour dissiper les nuages qui planent sur son élection récente, mais il semble le faire sans la lucidité nécessaire et avec des résultats désastreux.

À la page 264, Prevost affirme que le 5 avril 2022, quand les trois sœurs Quispe sont venues à lui pour dénoncer la violence subie par le père Lute, il a cru en leur vérité et leur a garanti toute sorte d’attention, de solidarité et de soutien. Puis, ajoutant ad abundantiam (comme on dit au Vatican) un argument de plus aux nombreux déjà évoqués en faveur de sa rectitude, il lance le boomerang :

« Malheureusement, la justice dans l’Église, comme la justice au Pérou et dans de nombreux autres endroits, demande beaucoup de temps. Ces processus sont très lents. Ce cas en particulier est devenu plus compliqué, parce que peu de temps après qu’elles aient présenté les accusations, j’ai été transféré du diocèse [de Chiclayo, ndr] ».

Cette phrase, comme nous le verrons, s’avère problématique pour plusieurs motifs. Cependant, le sens désiré par Prevost est clair : il veut faire savoir au monde que, après le 13 avril 2023, quand il est parti pour Rome après avoir été nommé par le pape François préfet du Dicastère pour les Évêques, il n’a plus pu s’occuper du cas, et que cela a contribué à ce que les choses ne soient pas satisfaisantes pour les trois victimes d’abus à qui il avait garanti tout type de soutien.

Mais sur ce point, le récit n’est pas précis. Après la fumée blanche du 8 mai, les médias du monde entier ont traité en chaque minimum détail le cas Quispe, tant pour accuser Prevost que pour le défendre des accusations, de sorte qu’on s’attendrait du pape et de sa biographe le même niveau d’attention aux détails.

Selon Allen, après que les trois sœurs Quispe soient allées voir Prevost pour dénoncer le père Lute le 5 avril 2022, voici ce qui se passe (p. 248) :

« Le prêtre Vásquez Gonzales a nié tout abus, soutenant que la situation était un malentendu. Cependant, l’évêque Prevost a ouvert une enquête préliminaire et imposé des restrictions, lui interdisant le ministère public et, par conséquent, l’exercice comme curé et l’écoute des confessions, bien qu’il puisse continuer à célébrer la messe en privé.

En juillet 2022, les résultats de l’enquête préliminaire ont été envoyés au Dicastère pour la Doctrine de la Foi du Vatican. Deux mois plus tard, en septembre 2022, ce dernier a contacté Prevost pour lui demander de pouvoir approfondir davantage l’enquête et fournir plus d’informations.

Sept mois plus tard, le 3 avril 2023, le procureur civil a archivé le cas en raison de la prescription, comme prévu, et le 12 avril Prevost a été nommé préfet du Dicastère pour les Évêques, et a commencé les préparatifs pour se transférer à Rome.

Le 8 octobre de la même année, après que Mgr Prevost ait déjà quitté le diocèse, le Dicastère pour la Doctrine de la Foi a archivé le cas contre Vásquez Gonzales pro nunc, c’est-à-dire “pour l’instant”, en raison du manque de preuves : les accusations étaient difficiles à prouver et aucune autre plainte n’avait été présentée, ni avant ni après, de la part des sœurs Quispe Díaz ».

Attention aux détails. Le 10 septembre 2024, le diocèse de Chiclayo émet un long communiqué pour rejeter les accusations contre Prevost lancées deux jours avant par Ana María Quispe à travers l’émission télévisée péruvienne très populaire Cuarto Poder.

Selon le diocèse —dirigé par un disciple et ami de Prevost— la situation du père Lute avait été archivée par la magistrature péruvienne pour prescription « au premier trimestre de 2023 », et le 3 avril, contrairement à ce qu’écrit Allen, c’est Prevost, encore évêque de Chiclayo pour dix jours de plus, qui a envoyé la sentence de prescription au Dicastère pour la Doctrine de la Foi « comme documentation supplémentaire ».

Un observateur mal intentionné pourrait signaler que la prescription dans le domaine civil pour des faits si lointains dans le temps est aussi évidente qu’irrelevante pour le processus ecclésiastique, qui l’exclut explicitement pour les abus contre les mineurs. Prevost, si prodigue en considérations et détails sur le cas Quispe, aurait pu expliquer à sa biographe son zèle à informer la curie vaticane que le père Lute était sorti impuni de la justice péruvienne.

À laquelle, par ailleurs, le pédophile Vásquez Gonzáles avait été dénoncé par les victimes, tandis que Prevost s’était abstenu de le faire, contrairement à ce qui est indiqué dans le motu proprio Vos Estis Lux Mundi du pape François.

Mais restons sur le point essentiel. Prevost insiste beaucoup pour faire savoir que, si le cas Quispe a eu une évolution insatisfaisante, cela se doit à son transfert à Rome ; c’est-à-dire au fait qu’il n’a plus pu s’occuper de la question.

Cet argument sonnerait offensant pour ses successeurs à Chiclayo s’il n’était clairement faux. En réalité, Prevost n’a pas voulu s’occuper plus du sujet : s’il l’avait voulu, il aurait pu le faire, et la preuve nous l’offre le pape lui-même, dans un autre moment d’étourderie, à la p. 208 de sa biographie autorisée.

D’abord, cependant, il est nécessaire de comprendre le contexte dans lequel Léon XIV commet ce but contre son camp. À côté du cas Quispe, ces dernières années s’est développée au Pérou l’histoire du Sodalitium Christianae Vitae, une puissante société de vie apostolique fondée par le théologien Luis Fernando Figari et bénie par Jean-Paul II.

Selon la tradition de ces structures catholiques avec leader charismatique, aussi dans le Sodalicio l’activité principale semblait avoir été l’abus psychologique, physique et sexuel de mineurs.

Au point que c’est François, en août 2024, qui a expulsé Figari du Sodalicio pour ensuite dissoudre l’institut en janvier 2025. Dans la bataille contre Figari et le Sodalicio, Prevost est en première ligne.

Ainsi, quand Ana María Quispe accuse l’ex-évêque de Chiclayo d’avoir couvert le père Lute, le chœur en défense du pape soutient que son inflexibilité avec le Sodalicio démontre l’infondée accusation de connivence silencieuse avec le père Lute.

D’autant plus, disent les amis de Prevost, que après la dure sanction contre Figari, ce sont précisément les amis de l’Association qui amplifient les accusations de Quispe.

Tandis que Pedro Salinas et Paola Ugaz, deux journalistes péruviens qui en 2015, avec leur livre d’enquête à succès Mitad monjes, mitad soldados, ont été les promoteurs de l’enquête sur Figari et le Sodalicio, défendent le pape bec et ongles. Et qu’aujourd’hui ils rapportent que, agressés par le puissant Sodalicio, pendant dix ans ils ont pu compter sur l’amitié et le soutien de Robert Prevost.

Et c’est ici que commence le boomerang. Bien que l’inflexibilité avec le Sodalicio en soi ne démonte pas les accusations d’Ana María Quispe —dans l’histoire des prêtres pédérastes, “deux poids et deux mesures” est la norme—, à la page 208 Allen se centre précisément sur le thème de l’implication de Prevost dans le cas du Sodalicio :

« … En relation avec une réunion qu’il a eue avec l’alors cardinal Prevost pendant une visite à Rome en octobre 2024 (…) Salinas a raconté que l’actuel pape s’était tenu au courant de l’affaire. Ainsi, dans un e-mail de suivi du 16 octobre 2024, Prevost a insisté, selon Salinas, sur la nécessité de justice : “Il faut continuer à travailler pour arriver à une conclusion juste de ce processus”.

Salinas raconte que l’actuel pontife lui a écrit pour le remercier de son travail et de son engagement : “Merci. Bon voyage. J’espère que bientôt nous pourrons mettre fin à cette histoire. [Maintenant] nous continuons à travailler pour aider la Mission Spéciale de Scicluna et Bertomeu”, a écrit Prevost.

Au final, la Mission Spéciale, malgré la forte pression et les tentatives de discréditer son travail, s’est conclue par la suppression de la Sodalité de Vie Chrétienne et des trois autres communautés fondées par Figari ».

En résumé, à la page 262, le Pape dit que, ayant abandonné le diocèse de Chiclayo, il n’a plus pu s’occuper des trois sœurs Quispe et du prêtre qui les avait abusées quand elles étaient enfants, malgré qu’il ait toujours cru en leurs accusations.

À la page 206, le journaliste Salinas reconnaît qu’à Rome il a continué à s’occuper de l’enquête sur le Sodalicio, qui formellement ne le concernait pas, depuis une distance de dix mille kilomètres : “il s’était tenu au courant” et se proposait “de travailler pour aider la Mission spéciale de Scicluna et Bertomeu”, les deux enquêteurs de la Doctrine de la Foi envoyés par Bergoglio pour clore les comptes avec l’abuseur Figari.

Ainsi donc, aussi pour Léon XIV, comme pour son prédécesseur, il y a des abuseurs à qui il faut fermer les yeux et des abuseurs à poursuivre sans trêve. Le surprenant est qu’il nous le communique lui-même, sans tenir compte d’une coïncidence embarrassante : aux mêmes jours de son e-mail à Salinas, Ana María Quispe, dans le comble du désespoir, écrit au pape François une longue lettre, une dure accusation qui culmine en cette phrase :

« Le diocèse de Chiclayo, où ont exercé comme évêques Mgr Robert Prevost Martínez, puis Mgr Guillermo Cornejo Monzón et actuellement Mgr Edison Farfán Córdova, dans des déclarations séparées et dépourvues de véracité, a assumé une défense tenace en faveur du prêtre accusé d’abus sur mineurs ».

Mais Prevost était déjà loin.

Le rôle de Parolin, l’archiennemi

Parmi les nombreuses révélations surprenantes que Prevost a décidé d’inclure dans sa biographie autorisée, celle qui semble préméditée par nature, et non fruit d’une distraction, se réfère à l’existence d’un lobby hostile qui a tenté de le discréditer avant le conclave qui l’a élu pape ; qui, évidemment, est dirigé par le secrétaire d’État Pietro Parolin ; et qui a utilisé comme arme pour le discréditer précisément le cas des trois sœurs Quispe qui, en avril 2022, dans le diocèse de Chiclayo, au Pérou, ont dénoncé à l’alors évêque Prevost avoir subi des abus sexuels quand elles avaient entre 9 et 13 ans de la part du prêtre populaire Eleuterio Vásquez Gonzáles, connu comme père Lute.

Prevost aurait couvert le prêtre pédéraste, selon les accusations d’Ana María Quispe, et aujourd’hui semble si obsédé par cette histoire qu’il laisse tomber des signaux continus d’angoisse, comme les miettes que Pollicino laissait tomber après la trahison de ses parents.

Et, en effet, il semble que dans la vie de l’Église les frères de Prevost ne soient pas moins impitoyables que le père et la mère de Pulgarcito : seulement qu’il n’est pas l’enfant astucieux du conte de Perrault, mais le pape, le chef absolu des cyniques frères.

Récapitulons. À travers la biographie autorisée d’Elise Ann Allen Prevost, nous savons trois choses : a) qu’un jour le pape François l’a appelé et qu’il a craint qu’il lui demande de démissionner, peut-être pour les soupçons qui l’accompagnaient dans le cas Quispe ; b) que, une fois le conclave commencé, quand il a entendu parler de lui-même comme un papable fort, il a craint que ses frères lui fassent payer l’accusation d’avoir couvert un pédophile ; c) que, effectivement, après avoir quitté Chiclayo (13 avril 2023) pour aller à Rome, où il est devenu préfet du Dicastère pour les Évêques, il ne s’est plus occupé du « père Lute » (qui au final s’en est sorti), mais a suivi de près et soutenu l’enquête vaticane sur la Sodalité.

Quel traitement réserve-t-on à Parolin dans le livre d’Allen LEON XIV – Citoyen du monde, missionnaire du XXIe siècle ?

Parolin n’est mentionné que quatre fois. La première, à la page 224, pour dire qu’à la veille du conclave, lui et le cardinal philippin Luis Antonio Tagle étaient plus accrédités que Prevost comme papables ; les trois autres en quelques lignes de la page 266, dans le récit des quatre scrutins du conclave qui ont vu rapidement faire naufrage les ambitions du secrétaire d’État devant le consensus croissant sur le nom de Prevost.

Parolin était et reste pro nunc, comme on dit à la curie, secrétaire d’État, c’est-à-dire le numéro deux de la hiérarchie catholique. Mais la biographie autorisée de Prevost l’efface. Si on lit attentivement les faits, on comprend la raison.

Le 1er octobre 2025, El País a publié le long article dont nous avons déjà parlé pour soutenir que les trois sœurs Quispe auraient admis avoir été utilisées par l’ex-augustin Ricardo Coronado, engagé par elles comme avocat, pour une campagne diffamatoire contre Prevost présentée comme représailles pour son engagement contre la Sodalité de Luis Fernando Figari.

L’article de El País est signé par Paola Nagovitch et Íñigo Domínguez. Nagovitch a enregistré une interview de deux heures avec Ana María Quispe, qui, précisément en utilisant l’enregistrement comme preuve, a démenti catégoriquement El País dans une lettre.

Ce point n’est pas très solide pour Léon XIV et, par ailleurs, l’article d’El País sort deux semaines après la biographie de Prevost qui, comme nous l’avons vu, relance plus ou moins maladroitement le cas Quispe avec son sillage de venin.

Même la biographe autorisée Allen, le 2 avril 2025, tandis que Bergoglio vit encore et que Prevost, selon ce qu’il nous a fait savoir, craint que le cas Quispe ne lui nuise dans la course au papauté, écrit un article destiné à démontrer que les accusations contre Prevost lancées le 25 mars par le réseau de survivants Snap sont diffusées par Coronado. Celui-ci, entre-temps, a d’abord été inhabilitado pour l’avocature dans les tribunaux ecclésiastiques et ensuite même expulsé du sacerdoce par Bergoglio avec l’accusation de graves délits d’abus sexuels, avec violation du sixième commandement et des paragraphes 1 et 3 du canon 1395, pour être précis. Ainsi, les sœurs Quispe se sont retrouvées aussi sans avocat.

Plus récemment, Coronado a dénoncé que dans le processus (selon lui manipulé) qui l’a expulsé de l’Église, Prevost a joué un rôle décisif. Allen rapporte aussi la position de Snap, qui semble logique : « Concernant la réduction à l’état laïc de Coronado et l’affirmation qu’il y aurait un ressentiment personnel envers Prevost, Snap a déclaré : “Ce qui importe sont les faits sous-jacents au cas, et les motivations du canoniste sont irrelevantes” ».

Et ici, quand Prevost n’est pas encore pape, Allen nous introduit dans les méandres des luttes de pouvoir vaticanes. Elle écrit que en 2024, quand au Pérou commencent à circuler les accusations contre Prevost, un fonctionnaire vatican non identifié lui dit (confidentiellement) que l’affaire a été examinée et qu’on a vérifié que Prevost n’avait pas couvert le pédéraste père Lute, mais qu’il a agi selon les normes. Et que à la fin de mars 2025, quand Snap relance ses accusations avant le conclave imminent, c’est la même secrétairerie de Prevost à Rome (peut-être Prevost lui-même, vu l’amitié et le récit d’une réunion en tête-à-tête entre eux ces mêmes jours) qui a rejeté les accusations.

Au point le plus critique, la « secrétairerie de Prevost » se montre maladroite : « En ce qui concerne l’affirmation que Prevost ne s’est pas mis en contact avec les autorités civiles, le bureau de Prevost a déclaré qu’il a parlé avec l’avocat diocésain après que les femmes se soient présentées, et qu’on lui a informé que le cas ne ferait pas l’objet d’une enquête civile “en raison de la prescription”. Maladroit, mais aussi très faible.

D’un côté, on soutient que les accusations sont inventées par un ex-augustin qui le hait ; de l’autre, le seul argument que l’ex-évêque de Chiclayo peut apporter en sa défense est qu’il n’a pas fait la dénonciation à la magistrature (qu’en tant qu’évêque il avait au moins l’obligation morale de faire) parce que l’avocat du diocèse lui a dit que c’était inutile, que tout était prescrit.

Un argument de plaideur qui se trouve aux antipodes du « être du côté des victimes » avec lequel l’Église catholique se rince la bouche chaque jour pour dissimuler sa loi hermétique et généralisée du silence.

Prevost est laissé seul par son rival

Mais une défense si maladroite peut avoir une explication. Prevost se sent en danger, il a compris que la vraie attaque vient de l’intérieur du Vatican. Et à partir de ce moment, même après son élection comme pape, il commence à faire circuler des indices codés pour signaler à qui veut comprendre que c’était le secrétaire d’État Pietro Parolin qui était derrière la campagne destinée à neutraliser l’un des concurrents les plus dangereux (le plus fort, en rétrospective) dans la course à la succession de François.

Paola Nagovitch et Íñigo Domínguez, les deux journalistes d’El País qui le 1er octobre 2025 signent l’interview polémique (et démentie) à Ana María Quispe, sont sans aucun doute du côté de Prevost. Le 12 juin 2025, environ un mois après l’élection de Léon XIV, ils écrivent en sa défense un long article qui, déjà dans le titre, ne tourne pas autour du pot : «Une campagne qui a aussi été alimentée à l’intérieur du Vatican».

L’allusion est claire. Après avoir rappelé que les accusations contre Prevost proviennent des amis de la Congrégation et que l’avocat expulsé du sacerdoce Coronado est un pécheur sans rémission, etc., etc., arrive la nouveauté : «Le futur pape a aussi été l’objet d’une campagne interne au Vatican, où on le considérait déjà comme l’un des favoris pour le conclave qui devait élire le successeur de François».

Ensuite, ils citent une «source ecclésiastique latino-américaine proche du pontife» anonyme qui affirme : «Le père Robert a beaucoup souffert au cours de la dernière année parce que personne au Vatican n’est sorti en sa défense. Il s’est senti abandonné».

Ces phrases semblent avoir été prononcées par Prevost. En tout cas, il s’agit d’affirmations et de citations très explicites qui n’ont pas été démenties, nuancées ni précisées par aucune des parties. La presse internationale la plus autorisée en la matière parle du nid de vipères qu’il y a au Vatican et de comment toute la curie fait semblant de ne pas s’en rendre compte.

Dans l’article d’El País, c’est la même source anonyme qui insiste : les accusations publiques contre Prevost pour avoir couvert le prêtre pédéraste Eleuterio Vásquez Gonzáles, connu comme père Lute, commencent au printemps 2024, un an avant le conclave, quand on sait déjà que Bergoglio arrive à la fin de son mandat.

Le préfet des évêques est légitimement inquiet pour sa réputation et ses ambitions pontificales, toutes deux en danger. Nagovitch et Domínguez, expliquant que pour Prevost les douze mois qui ont précédé son élection comme pape ont été un véritable calvaire («ordeal»), écrivent :

« Le cardinal s’attendait à ce que le Saint-Siège intervienne en sa défense, selon une source ecclésiastique latino-américaine proche du Pape. Cependant, dans une année marquée par des controverses, jusqu’à son élection comme nouveau pontife, les seules réponses aux accusations contre Prevost sont venues du diocèse de Chiclayo.

“Prevost a beaucoup souffert pendant cette période. Il sentait que le Vatican ne le défendait pas et ne démentait rien. Il voyait passer les mois sans aucune réaction. Ce fut une année de silence. On l’a laissé mijoter à petit feu, peut-être parce qu’il était déjà un candidat évident au conclave”, a dit la source ».

Qui devait répondre aux accusations ? C’était à Parolin, chef du Gouvernement vatican, dont Prevost était, en un sens, ministre. Et, en tout cas, c’était à la structure de communication, dirigée par le préfet Paolo Ruffini, qui dépend, en tout cas, de Parolin.

Ruffini, préfet comme Prevost, a lutté comme un lion, publiquement, en défense de l’abuseur en série Marko Rupnik parce qu’il était ami du Pape, mais n’a jamais dit un mot sur Prevost, qui maintenant nous fait savoir qu’il a beaucoup souffert parce que l’Église l’a laissé mijoter à petit feu.

En fait, El País a clos l’article du 12 juin par une question inquiétante pour Parolin et ses proches : « Reste à voir ce qui se passera maintenant que Léon XIV est aux commandes et sait qu’une partie de la Curie est contre lui ».

La trahison de Parolin

Parolin n’a même pas feint de venir en aide à Prevost. Entre autres choses, à la veille du conclave, on l’accusait aussi d’avoir collaboré au couvert des abus sexuels.

Cinq jours avant le conclave, Anne Barrett Doyle, leader de bishop-accountability.org, l’association internationale qui documente et dénonce les abus sexuels des prêtres catholiques, a lancé une dure accusation contre le secrétaire d’État, que à ce moment les journaux italiens donnaient comme grand favori dans la course au papauté.

Précisément comme secrétaire d’État, selon Bishop-accountability, ces dix dernières années il a représenté, pour les magistrats du monde entier, le bastion insurmontable érigé par le pape Bergoglio en défense de la honte secrète de l’Église, c’est-à-dire les prêtres pédérastes : des enquêteurs de nombreux pays lui demandaient des documents sur des milliers de cas de prêtres pédérastes. Il les leur refusait.

Cependant, parmi les documents délicats que Parolin garde sous clé se trouve aussi l'»enquête préliminaire» sur le père Lute que Prevost, alors évêque de Chiclayo, a envoyée à Rome en juillet 2022, seulement trois mois après l’entretien avec les sœurs Quispe.

Est-ce vrai, comme le soutient Ana María Quispe, que le prétendu dossier judiciaire consistait en une seule feuille, c’est-à-dire qu’il s’agissait d’une moquerie ? Ou ont raison les amis de Prevost, selon lesquels il s’agit d’une enquête avec toutes les lettres et conforme à toutes les normes ? Parolin connaît la vérité et garde le silence comme une sphinge.

Seulement le 27 mai 2025, vingt jours après l’élection de Prevost et après des centaines d’articles empoisonnés sur le cas Quispe —avec les hommes de Léon XIV le suppliant de sortir démentir ce qui, selon eux, était déjà une campagne diffamatoire non pas contre son rival au conclave, mais contre le pape et donc contre toute l’Église—, Parolin fait un coup si absurde qu’il a été unanimement jugé comme une moquerie dirigée contre Prevost, le rival qui lui avait ravi une élection qu’il croyait assurée.

Parolin se fait interviewer par Vatican News, le site officiel de l’Église, par le directeur éditorial Andrea Tornielli, l’adjoint de Ruffini. Thème de l’interview : les guerres d’Ukraine et de Gaza. À un certain point, vers la fin, Tornielli formule une question apparemment incompréhensible : «Dans les derniers temps du Pape François et jusqu’aux jours précédant le conclave, il y a eu des commentaires sur l’agir, dans le passé, de plusieurs Chefs de Dicastère de la Curie concernant des dénonciations qu’ils ont reçues sur des cas d’abus. Ont-ils été analysés ?».

La réponse de Parolin est tout aussi incompréhensible, et c’est pourquoi magistrale : «Concernant les commentaires et rumeurs sur l’agir de certains Chefs de Dicastère de la Curie Romaine en relation avec des dénonciations de cas d’abus quand ils étaient évêques diocésains, les vérifications réalisées par les instances compétentes, à travers un examen des données objectives et documentaires, ont mis en évidence que les cas ont été traités ad normam iuris, c’est-à-dire selon les normes en vigueur, et ont été renvoyés par les alors évêques diocésains au Dicastère compétent pour leur examen et évaluation des accusations. Les vérifications réalisées par les autorités compétentes n’ont trouvé, de manière définitive, aucune irrégularité dans l’agir des évêques diocésains».

Il est vrai que avec cette hypocrisie, avec ce dire et ne pas dire, avec cette forme venimeuse de ne pas rassurer les fidèles que le Pape n’est pas un gredin, mais de lever des rideaux de fumée avec l’inutile latin de « ad normam iuris », Parolin et ses prédécesseurs ont fait durer l’entreprise deux mille ans.

Mais il est aussi vrai que peut-être les temps ont changé et que cette forme de s’entre-égorger entre frères pourrait s’avérer préjudiciable pour l’Église en ce moment. Et cela explique peut-être pourquoi Robert Prevost est aujourd’hui un homme angoissé non seulement par tout ce que nous avons raconté, mais aussi par la crainte de ne pas avoir un contrôle ferme sur le gouvernement de l’Église.

 

Cet article a été originellement publié en italien, vous pouvez le voir ici

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