Lex Movendi, Lex Intelligendi

Lex Movendi, Lex Intelligendi

Par Anthony Esolen

Ma famille et moi passons quelques mois par an en Nouvelle-Écosse, dans une partie de la province qui fut autrefois écrasante catholique. Les congrégations vieillissent, en partie parce que de nombreux jeunes quittent l’île pour travailler loin, et en partie, je crois, parce que tous les mouvements et accessoires dans la Messe semblent dire : « Ici, il n’y a rien que l’esprit puisse chercher. »

Dans la Messe d’une paroisse, tout le monde se lève après le Sanctus, mais seulement pendant la première phrase de la seconde Prière eucharistique toujours utilisée. On est censé s’agenouiller une fois que le prêtre invoque l’Esprit Saint sur les dons. En pratique, cela signifie que le clomp-clomp des prie-Dieu et le mouvement des corps interrompent la prière et distraient le prêtre.

Les idées sur les gestes liturgiques, comme celle des évêques canadiens, peuvent sembler bonnes en abstraction, mais les gestes ne sont pas abstraits. Ils tirent leur force des réalités des corps humains. Seule une personne insensible au corps humain en mouvement pourrait ne pas avoir prévu ce qui se passerait, et seule une personne maladroite dans l’art du geste humain pourrait ne pas voir que cette interruption physique confond la prière, séparant une phrase de la suivante, quand une telle séparation de sens ou d’action n’est pas requise.

Cette maladresse caractérise leur approche générale des gestes liturgiques. À la fin de la consécration, tout le monde doit se lever, et à nouveau le bruit et le désordre se produisent juste quand le prêtre dit : « Ceci est le mystère de la foi. » Encore une interruption, une discontinuité, et encore la probabilité que, dans l’inconfort du moment, tu ne prêtes pas attention à ta réponse au prêtre. Si l’Eucharistie est un grand mystère, nous voulons alors, surtout, diriger toute notre attention vers elle. Rien ne devrait la distraire.

La Communion se reçoit debout, comme presque partout depuis la Grande Liquidation. Je soupçonne que la posture s’est imposée non pas pour ce qu’elle est, mais pour ce qu’elle n’est pas : s’agenouiller. On ne peut imposer un sens à un geste corporel qu’il ne possède pas en lui-même, ni à celui auquel il ne se prête pas naturellement.

Tu attends en file, vaguement conscient de la personne derrière toi, et tu ne peux pas t’arrêter après avoir communié, de la même manière que tu ne t’arrêtes pas après avoir reçu ton hamburger au comptoir de la restauration rapide, ou après avoir placé tes bagages sur le tapis de l’aéroport, ou dans n’importe laquelle des nombreuses choses pour lesquelles nous faisons la queue, normalement avec une légère impatience ou irritation. Tu t’écartes et retournes à ton siège. Banal déjà, mais dans le diocèse de Antigonish, Nouvelle-Écosse, tu restes debout jusqu’à ce que tous aient reçu, prolongeant ainsi l’impatience.

Dans cette paroisse en particulier, cela génère de la confusion, peu propice à la prière. Certaines personnes s’agenouillent. D’autres s’assoient. La majorité reste debout, comme les évêques canadiens insistent que c’est le mieux. Cela est censé être un signe de solidarité.

C’est un non-sens. Tu peux prier, mais surtout tu attends que la dernière personne s’asseye, pour pouvoir t’asseoir toi aussi. Tu n’es pas recueilli en toi-même ; tu ne peux pas l’être. Les personnes qui attendent un signal ne peuvent rien faire d’autre qu’observer. Essaie de te perdre en prière pendant que tu attends que tous communient —une douzaine dans chaque rangée, puis quatre ou cinq, puis deux, enfin un— ! enfin !

Il est aussi difficile de prier pendant que tu avances en file, parce que tu dois penser à quand bouger les pieds et où les mettre pour ne marcher sur les chaussures de personne. Je ne dis pas que c’est impossible. Avec Dieu tout est possible. Mais c’est improbable.

Nous sommes des êtres corporels, et ce que nous faisons avec nos corps instruit nos esprits. Quand j’étais enfant, nous nous agenouillions au banc de communion de notre église, une œuvre en marbre italien, incrustée de mosaïques de symboles eucharistiques. Après cette Grande Liquidation, je ne me suis plus agenouillé pour communier, jusqu’à ce qu’un jour, vers 1988, ma femme et moi assistions à la Messe dans une grande cathédrale où l’on utilisait encore le banc de communion.

Nous nous sommes agenouillés ensemble pour recevoir le Sacrement. Et le geste corporel m’a frappé comme une décharge électrique puissante. Je n’attendais rien. Ce que j’ai vécu était une variété de sensations, tant dans le corps que dans l’esprit. J’étais agenouillé : c’était un acte d’humilité. Je pouvais prier, sans cette petite voix qui dit : « Bouge-toi, bouge-toi. » Je pouvais voir les visages de nombreux communiants agenouillés à ma droite, visages d’étrangers, mais pas si étrangers, parce qu’eux aussi étaient agenouillés, et eux aussi étaient en repos.

C’étaient des hommes et des femmes, jeunes et vieux. J’ai senti que nous étions unis. La sensation était encore plus mémorable parce que notre posture était inhabituelle. Personne de notre temps ne s’agenouille, sauf pour adorer Dieu. Et si l’homme est, comme je l’ai souvent dit, uni seulement par ce qui le transcende, alors ceux qui ne s’agenouillent pas devant Dieu ne pourront jamais former les communautés humaines les plus fortes.

Qu’est-ce qui explique l’animosité contre l’agenouillement, et en général contre la solennité sous ses diverses formes, chez tant de hiérarques et de prêtres catholiques ? Je peux hasarder plusieurs conjectures, mais elles seraient hors du point que j’essaie de faire ici. Les mouvements corporels non seulement enseignent —et enseignent d’une manière qui graverait dans la mémoire ce qui est appris—, mais ils nous inclinent aussi vers des mystères de connaissance qui transcendent le quotidien, voire ce qui est humainement concevable.

Qu’est-ce qui, dans la Messe, dit au corps —et à travers le corps— que tu es, comme Moïse autrefois, sur une terre sacrée ? Dans quelle posture t’adresses-tu au sacré, comme si tu n’étais pas plus grand qu’un enfant ? Quelle chorégraphie de mouvement et de quiétude ouvre l’esprit à un monde de sens qui laisse derrière nos bavardages ?

À propos de l’auteur

Anthony Esolen est professeur, traducteur et écrivain. Parmi ses livres figurent Out of the Ashes: Rebuilding American Culture, Nostalgia: Going Home in a Homeless World et, plus récemment, The Hundredfold: Songs for the Lord. Il est Professeur Distingué au Thales College. Visitez son nouveau site web : Word and Song

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